- 4 juin 2024
- Category: Droit de l'urbanisme commercial, Urbanisme
Le gouvernement a déposé le 24 avril 2024 devant le Sénat un nouveau projet de loi dit « de simplification de la vie économique ». Ce projet de loi est présenté comme un plan d’action global de simplification comprenant 26 mesures mobilisant tous les leviers, qu’ils soient législatifs ou réglementaires.
Trois objectifs sont affichés :
- Simplifier l’organisation de l’administration et des démarches administratives ;
- Soulager les petits acteurs économiques – TPE-PME, indépendants, artisans, commerçants en rapprochant le droit des professionnels de celui des particuliers en matière de banque, d’assurance ou d’énergie ;
- Faciliter et à accélérer les transitions écologiques, énergétiques et numériques qui permettront à notre pays de se réindustrialiser.
Le Conseil d’État a rendu son avis sur ce projet le 22 avril 2024 et il sera discuté en séance publique à partir de ce lundi 3 juin 2024.
Parmi les 26 mesures présentées dans ce projet de loi de simplification de la vie économique, deux mesures modifient singulièrement le régime des autorisations d’exploitation commerciale :
- un nouveau cas d’exonération d’autorisation d’exploitation commerciale ;
- une nouvelle définition de l’intérêt à agir contre les autorisations d’exploitation commerciale.
Le 5 mars dernier, la ministre Olivia GREGOIRE avait présenté devant le Conseil national du commerce (CNC) une mesure tendant à aligner les délais de validité des autorisations d’exploitation commerciale avec ceux des permis de construire. Elle n’a curieusement pas été reprise dans ce projet de loi alors qu’elle est souhaitée de longue date par les acteurs du secteur.
Un nouveau cas d’exonération d’autorisation d’exploitation commerciale :
Afin de faciliter les réorganisations des cellules commerciales au sein des ensembles commerciaux, un nouveau cas d’exonération des autorisations d’exploitation commerciale est prévu.
Selon l’avis rendu par le Conseil d’État, il permettra à des magasins existants de déplacer leur activité dans des surfaces inexploitées depuis plus de trois ans au sein d’un ensemble commercial. Cette exonération est soumise à trois conditions cumulatives, figurant au sein d’un VI ajouté à l’article L752-2 du Code de commerce :
“VI. – Au sein d’un même ensemble commercial, le déplacement de surface de vente d’un ou plusieurs magasins de commerce de détail en activité vers un ou plusieurs magasins de commerce de détail dont les activités ont cessé depuis plus de trois ans n’est pas soumis à autorisation d’exploitation commerciale lorsque sont respectées les conditions cumulatives suivantes :
« 1° La surface de vente du magasin de commerce de détail réouvert est inférieure à 2 500 mètres carrés ou à 1 000 mètres carrés pour les commerces à prédominante alimentaire ;
« 2° La surface de vente totale de l’ensemble commercial n’est pas modifiée par cette opération ;
« 3° La réouverture du magasin de commerce de détail n’entraine aucune modification de l’emprise au sol du bâtiment dans lequel il est situé.”
Ce texte implique plusieurs remarques :
De premier abord, cette disposition ne manque pas de surprendre dans la mesure où aujourd’hui, un tel déplacement n’est pas proscrit par les textes et se trouve admis de longue date par la jurisprudence[1]. La proposition actera donc une pratique ancienne qui permet la restructuration des boutiques des centres commerciaux vieillissants sans affecter de façon dramatique l’exploitation des preneurs commerciaux des cellules de galerie marchandes : à la faveur d’un déplacement, les travaux de rénovation peuvent être menés. Également, de tels déplacements permettent de répartir les commerces dans la galerie marchande selon leur nature, en cohérence avec le parcours commercial de la clientèle. Toutefois, nous pouvons aussi y voir une restriction puisque la liberté qui existait précédemment se trouvera désormais limitée à 1.000 m² de surface de vente pour les magasins à dominante alimentaire et à 2.500 m² de surface de vente pour les autres magasins.
Ensuite, dès lors qu’il est question d’un « déplacement », cela signifie que la cellule commerciale quittée perd sa commercialité. Cela implique donc par voie de conséquence qu’un magasin de 3.000 m² de surface de vente qui se déplacerait vers une cellule préexistante, vacante et ayant perdu les droits à exploitation au sein de son ensemble commercial devrait être soumis à nouvelle autorisation d’exploitation commerciale, mais pour autant la cellule « quittée » perdrait sa commercialité.
Le texte vise la notion « d’ensemble commercial », il semble donc qu’il puisse s’appliquer au sein de zones commerciales très larges. Très récemment, le tribunal administratif de Marseille a considéré que la zone de « Plan de Campagne » dans les Bouches-du-Rhône constituait un seul et même ensemble commercial. Cela signifie donc qu’un tel déplacement serait admis sans nouvelle autorisation d’exploitation commerciale pour des commerces dont les surface de vente sont en deçà des seuils prévus et situés parfois à un kilomètre de distance ? Le même raisonnement pourra être tenu pour d’autres zones commerciales périphériques telles « La croix blanche » dans l’Essonne ou la Patte d’Oie d’Herblay (95).
Cette mesure n’est assortie d’aucune modification s’agissant de l’intérêt qu’un propriétaire risquant de perdre son locataire à la faveur d’un tel déplacement pourrait trouver à contester un tel projet. En l’état des textes et de la jurisprudence, il n’aura d’autre choix que d’observer le départ de son locataire, sans pouvoir s’y opposer devant les instances en charge du contrôle des implantations commerciales.
Cette mesure impose en effet que la surface du commerce repris soit située en dessus de 2500 m² de surface de vente. Ce seuil est déjà prévu à l’article L752-1 du Code de commerce pour la réouverture d’un magasin à prédominance non alimentaire, mais il était difficile à manier lorsque la question se posait pour un magasin situé au sein d’un ensemble commercial. Ces nouvelles dispositions permettront de s’aligner avec les dispositions de l’article L752-1 actuellement applicable pour les magasins isolés.
La surface de vente de l’ensemble commercial ne doit pas être modifiée. En d’autres termes, le déplacement de cellules ne doit pas conduire à une extension de la surface de vente de l’ensemble commercial. Nous pourrions même y voir l’interdiction de revoir cette surface à la baisse. Toutefois, une telle réduction n’ayant jamais été sanctionnée en matière d’urbanisme commercial, une telle lecture paraît beaucoup trop stricte. Cette condition est salutaire, mais n’est nécessairement aisée à mettre en œuvre. En effet, il n’existe aujourd’hui aucun recensement officiel de la surface de vente de chaque ensemble commercial, l’observatoire du commerce ayant disparu depuis 2008 et la loi de modernisation de l’économie.
Enfin, la troisième condition s’attache à ce que le déplacement de magasin ne modifie pas l’emprise au sol du bâtiment. Pour le Conseil d’État, cette condition permettrait de s’assurer que le projet ne consomme pas de foncier supplémentaire. Or, ce ne sont pas les bâtiments qui sont les plus consommateurs de foncier, mais les parcs de stationnement et les voies de circulation. Or, un parc de stationnement aérien, s’il n’est pas en silo, ne crée aucune emprise au sol…
Une nouvelle définition de l’intérêt à agir contre les autorisations d’exploitation commerciale
L’article L752-17 du code de commerce serait modifié en ces termes :
Au premier alinéa de l’article L752-17, après le mot : « affectée », sont ajoutés les mots : « de manière directe et significative »
En d’autres termes, pour justifier de son intérêt à agir, le requérant-concurrent devra justifier que son activité est susceptible d’être affectée de manière directe et significative par le projet contesté.
Sur ce point, le Conseil d’État a considéré que le caractère direct du préjudice rejoindrait la notion générale d’intérêt à agir habituellement utilisée en droit administratif. Pour le caractère « significatif » de l’atteinte portée à l’activité du requérant concurrent, la Haute juridiction considère qu’il vise à « qualifier l’intérêt à agir de manière plus précise (…) » avec « des éléments pertinents » qui permettrait d’évaluer l’incidence du projet sur l’activité.
En pratique, cette justification va s’avérer très difficile, voire impossible. En effet, comment démontrer qu’un projet commercial qui n’existe pas encore et pour lequel l’enseigne pressentie n’est pas encore connue, va affecter directement son activité ? Faut-il vendre exactement les mêmes produits ? Et si oui, dans quelle proportion ? La condition d’une atteinte significative est encore plus difficile à justifier : faudra-t-il justifier d’éléments comptables, d’une perte de chiffre d’affaires (pourcentage ?)… L’appréciation économique des projets n’existe plus depuis 2008, le concurrent sera-t-il tenu de réaliser une étude de marché du projet auquel il souhaite s’opposer pour justifier de son intérêt à le contester ? Outre le fait qu’une telle étude est onéreuse (ce qui pourrait constituer un obstacle au droit au recours dont l’accès se trouverait barré aux plus fragiles économiquement), le délai de réalisation d’une telle étude couplée au délai très bref de recours (un mois), rend l’exercice quasiment impossible.
Il ne fait pas de doute que les décisions prises par la commission nationale d’aménagement commercial sur la recevabilité des recours feront l’objet de nombreux recours devant le juge administratif. Sur ce point, et certainement à juste titre, le Conseil d’État « s’interroge cependant sur la réduction du contentieux attendue de cette mesure » !
[1] CE, 20 mars 2000, n° 191418 ; CAA Bordeaux,28 déc. 2017, n° 15BX03116, 15BX03119
Contexte et objectifs du décret